Anyasha, comme à son habitude, pénétra sans délicatesse dans la chambre de son père, employant pour cela la fenêtre. Passer par l'accueil était une perte de temps stupide... Et perdre du temps pour son père n'en valait vraiment pas la peine.
Après un dernier saut depuis un toit proche, elle retomba habilement sur le rebord de la fenêtre, en parfait équilibre et les deux gâteaux de riz toujours dans ses bras, intacts.
Elle retira un shuriken de sa poche et en employa le tranchant pour débloquer et ouvrir toute grande la fenêtre depuis l'extérieur. D'un bond agile, elle se retrouva à l'intérieur.
"Papa ? Sayukar-sama ?" appela-t-elle d'une voix absolument neutre en s'apercevant avec une pointe d'agacement qu'il n'était pas en vue.
Un léger sifflement dans l'air l'alerta, et elle se décala instinctivement sur la droite, remarquant un bref instant le projectile qui passa à un cheveu de son visage; cela ne parut pas l'étonner le moins du monde. Jetant un oeil de côté, elle vit la seringue heureusement vide qui s'était fichée dans l'encadrement en bois de la fenêtre et y vibrait encore. Son regard revint explorer la chambre, et une lueur d'irritation était maintenant visible dans ses yeux sombres.
"Papa, je ne trouve vraiment pas ça drôle." dit-elle avec à présent une colère contenue dans la voix, fusillant l'ensemble de la pièce d'un regard noir, tout en allant poser les gâteaux sur la table de chevet. "Montres-toi et arrête de jouer à l'imbécile !"
Pfff... Ce n'est que la cinquième fois qu'il essaie de m'assassiner, ce vieux shnoque paranoïaque. Il va finir par m'énerver pour de bon. Comme si quelqu'un allait jamais trouver le moindre intérêt à lui nuire alors qu'il était dans cet état pitoyable ! Et puis, attaquer avec une seringue... C'est lamentable !
"Je reconnais bien là l'insolence de ma fille qui, bien qu'elle soit capable d'esquiver mes coups avec de plus en plus de facilité, n'en est pas moins une petite garce prétentieuse et bornée qui a abandonné lâchement son père !" fit une voix masculine chevrotante en provenance d'un mur.
Anyasha poussa un profond soupir en refoulant des envies de meurtre. Et voilà, il remet ça sur le tapis. Quel casse-pieds ! "Papa..." grogna-t-elle avec hargne." On a déjà eu cette conversation une douzaine de fois. Et maintenant sors de ta cachette, j'aimerai bien pouvoir te regarder quand je te parle !"
"Mais bien sûr, ma chérie !" répliqua la voix chargée d'une ironie mordante. Le grand homme qui s'extraya alors du mur semblait prématurément vieilli, ses cheveux gris et ternes aux vagues reflets roux dansant en mêches folles devant ses yeux d'un vert glacial à l'éclat un peu dément. Des rides parsemaient son visage, et pourtant son corps, si on mettait à part l'une de ses jambes raccourcie au niveau du genou, disposait encore de la vigueur d'un adulte en bonne forme physique. Il s'appuyait sur un long bâton de bois dont la tête avait été taillée à l'effigie d'un rat. Sayukat toisait sa fille avec une expression de franc mépris. "Alors, qu'est-ce qui me vaut l'honneur de ta visite ? J'espère que ce n'était pas uniquement pour m'apporter ces saletés !" conclut-il en désignant les deux gâteaux sur la table.
Saletés ? N'empêche que tu les mangeras dès que je serai partie, vieux singe ! songea Anyasha, dont l'expression se durcit encore davantage face à l'attitude blessante de son géniteur. Elle répondit d'une voix glaciale et impersonnelle. "Je viens te faire part de quelques décisions me concernant. Déjà, je vais m'inscrire pour l'examen qui aura lieu bientôt. Ensuite... les traditions stupides de l'Eclipse que tu as toujours voulu me forcer à prendre en compte sont désormais abolies et caduques et n'ont plus de raison d'être."
Elle eut le plaisir de voir les yeux de son père s'écarquiller d'indignation.
"QUOI ?! COMMENT ?!?" rugit-il avec fureur en faisant un pas en avant, comme s'il n'en croyait pas ses oreilles. "QUI A OSE ?!"
Bravo papa. Pour rameuter tout le personnel de l'hôpital, tu as vraiment le chic qu'il faut.
"C'est moi." répondit Anyasha avec calme, un petit sourire moqueur et provoquant aux lèvres. Voir son tyran de père sur le point d'exploser de rage n'était pas déplaisant. D'un petit bond, elle se replaça sur le rebord de la fenêtre. "Laisses-moi t'expliquer. Il n'y a plus que deux personnes encore en vie parmi les Gesshoku. Toi... et moi. Or il se trouve que toi, tu n'es plus qu'un traîne-la-patte sans valeur en mission, un fardeau inutile et usé, un ninja mis au ban parce qu'il prenait plaisir à jouer les martyrs. C'est tellement méprisable ! Il est donc juste que le plein pouvoir de décision du clan me revienne, et j'ai décidé que nos lois étaient obsolètes, donc que nous ne serons plus des héros stupides sacrifiant la vie, la réputation et le bonheur pour des gens qui de toute façon ont toujours eu de bonnes raisons de nous craindre. Ne m'en veux pas, hein... Ce n'est que justice ! Bonne journée, papa adoré !" acheva-t-elle en ricanant.
Rendu fou par le comportement dominateur et insultant de sa fille, Sayukar tendit un bras en avant, cherchant absolument à la saisir.
"ESPECE DE SALE...!! " hurla-t-il avec les yeux exorbités de rage, mais Anyasha était déjà partie, et sa main n'attrapa que du vent.